Amours en haute Résolution
Titre : Amours en haute Résolution
Auteur : Jean-Paul MARUEJOULS (CyberMad)
Date : 29/01/1995
Ce texte est ma troisième nouvelle, et la deuxième publiée dans LE REPORTER. ("Les Miroirs du Réseau" dans le Reporter n°4). Encore une fois, elle se passe dans un milieu proche de l'informatique, celui des Réseaux. Toutefois, elle n'a pour but que de vous permettre de décompresser, et oublier quelques instants les paquets d'octets, les JMP et GTO aléatoires, les méthodes pour calculer un logarithme Népérien de tête et autres supers affichages SVGA avec effet multi-hélicoïdal à bipolarité planaire renversée (;-)).
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Amours en Haute Résolution
3 mai 2018, 19 heures et quelques poignées de secondes. Graham Lee se connecta pour la première fois au Monde Synthétique SensoRezo. Il avait déjà essayé pas mal de Mondes Virtuels, mais celui-ci était, aux dires de tout un tas de monde, le plus abouti jamais créé. Et puis, il avait pu avoir par une relation le code d'accès au "SensoLevel_X", l'univers du sexe en images de synthèse. Son système sensitif était à la pointe du progrès, et même certains points très sensibles de son anatomie étaient reliés par des électrodes à la console. Avec ça, il était tranquille pour un "voyage" hallucinant.
Il composa le numéro de SensoRezo, et se brancha directement sur le sommaire du serveur. Il passa rapidement sur les Romances Tendres, les Faits d'Armes, le Sport Simulation Board et autres broutilles susceptibles de n'intéresser que les ménagères en mal d'amour et les blaireaux moyens. Il prit l'option Simulations Sensorielles Totales, et demanda l'accès aux Niveaux Réservés. Sa clef de code lui ouvrit la porte du Level_X.
Il dut batailler près d'une heure avec les menus de configurations du serveur. Décidément, rien qu'au vu des options et des réglages disponibles, ça devait être du top ! Du quasi-militaire, comme disent les connaisseurs. Il put enfin entrer dans le Salon des Rencontres. Un miroir virtuel, judicieusement placé, renvoya l'image d'un homme mince, de près d'un mètre quatre-vingt, tout en longueur, avec un visage pâle et des cheveux très noirs. Il esquissa un sourire de contentement. Cette projection de lui-même était très fidèle. Il y avait même la légère cicatrice sur le bas de l'arcade sourcilière droite.
Devant lui, flottait un menu. On lui proposait divers lieux et scénarios de rencontres, ainsi que le nombre de personnes déjà engagées dans chacun d'eux. Après un bref survol, il délaissa les situations les plus dévoyées pour une classique histoire d'amour sur fond de vie de malfrat/financier des années 1980. Une seule personne était présente, Rosalyn. Une femme donc ! Et bien, il allait pouvoir lui montrer ce que peut faire un Virtuose dans un monde aussi bien réalisé. Mais ce devait être un PNJ...
Ses sens, détournés sur les prises de sortie de la console par les contacteurs dermiques, lui donnaient vraiment l'illusion d'entrer dans un bar luxueux de la 5ème avenue. Des tissus rouges aux murs, un tapis de laine beige au sol, et les box discrets et isolés qui entrecoupaient la salle lui firent un drôle d'effet. En baissant les yeux, il vit un mégot de cigarette et quelques traces de pas qui s'incrustaient dans le textile de la moquette. La résolution de l'image était fantastique. Il ne fut pas moins surpris d'entendre miauler un chat, et de voir le matou cendré croquer allègrement ce qui semblait être une assiette de caviar. Une odeur mitigée de parfums de luxe et de mets raffinés hantait les lieux. Même l'élasticité du sol était parfaitement rendue. Ce "voyage virtuel" s'annonçait purement sublime.
Un garçon de salle, veste blanche impeccable et sourire de circonstance, s'avança vers lui :
- ®Mr Lee ! C'est un honneur que de vous recevoir. Nous ne vous attendions pas ce soir. Votre table habituelle est occupée, mais nous allons déplacer la jeune fille qui l'occupe.¯
Le garçon lui indiquait discrètement le fond de la salle, où une alcôve très discrète se devinait à peine. En approchant, Graham aperçu une belle femme blonde, plutôt petite, autant qu'il pouvait en juger vu d'ici. Elle le fixa de ses magnifiques yeux verts. Le garçon s'avanca vers elle, mais Graham le retint et passa devant lui :
- ®Si Mademoiselle n'y voit pas d'objections, elle peut partager cette table avec moi...¯
- ®Avec grand plaisir, Mr Lee, c'est un honneur rare !¯
Elle le fixait sans pudeur, une invite dansant dans l'émeraude de ses yeux. Il s'assit près d'elle et commanda la carte, ainsi qu'un Bourbon Dry :
- ®Puis-je vous offrir quelque chose ? Un cocktail peut-être ?¯
- ®Merci, Mr Lee. Un Bloody Mary sera parfait !¯
Il attendit d'être servi puis commença à boire le bourbon que le garçon avait très rapidement amené.
- ®Apparemment, vous me connaissez ?¯
- ®Qui ne vous connait pas, Mr Lee ? Vous êtes aussi célèbre que les plus grandes stars de la politique ou de la religion. Voyons, vous êtes un empereur de la finance, un spéculateur hors pair qui a déjà menacé de ruine trois ou quatres nations, un aventurier moderne, et... un grand séducteur !¯
Hé bien, le SensoRézo lui avait sorti le grand jeu. Un personnage de premier rang, riche, puissant. Un rôle idéal, et un PNJ (Personnage Non-Joueur, un peu comme un figurant) de toute beauté. Grande qualité et service de luxe !
Il discuta avec elle de diverses banalités. Elle s'appelait Rosalyn Moore, avait 23 ans et venait de finir des études de finances internationales. Pas de parents à New-York, une enfance en Europe, dans les meilleurs collèges, et une passion déclarée pour le monde de requin qui est celui du commerce mondial. Graham se disait qu'elle serait redoutable. Il pris conscience que son bourbon était vraiment excellent, et il en oublia presque qu'il ne vivait qu'un "Rêve Electronique".
A ce moment, la porte du bar s'ouvrit, et trois types en armes, cagoulés, pénétrèrent dans lieux. Ils scrutaient la salle comme à la recherche de quelqu'un. Graham se renfonça un peu dans son siège, afin de ne pas offrir une cible trop facile. Juste à ce moment, le premier des malfrats le mit en joue. Il eut juste le temps de tirer Rosalyn à l'abri de la cloison. Une balle lui effleura le sommet du crâne, accompagnée d'un petit PLOP, et lui causa une vive brûlure. Il se passa la main dans les cheveux et la retira humide de sang. Ils poussaient le réalisme un peu loin, quand même ! Les deux autres types avancèrent vers lui, pendant que celui qui avait tiré gardait la porte pour éviter toute intervention inopportune. Graham aperçut du coin de l'oeil le visage de Rosalyn. Elle se serrait contre lui, le visage crayeux et les yeux affolés. Il eut le temps de se dire que, décidément, la simulation et le graphisme étaient parfaits, lorsqu'un second PLOP se fit entendre, et qu'une autre balle ricocha sur le bord de la banquette où il se dissimulait. Il commençait à avoir vraiment peur. C'était trop réaliste pour être une simple simulation.
En se baissant, il sentit sous son bras un objet qui le gênait. Il tâtonna sous sa veste, et en ressortit un pistolet de gros calibre, sûrement un P.38 ! Il vérifia le magasin en armant la culasse, et risquant un oeil, tira sur le premier de ses agresseurs. L'autre fit une grimace, porta une main à sa jambe et s'affala. Avant qu'il ne touche le sol, Graham lui avait déjà expédié une deuxième balle dans la région du coeur. Ses années à passer des nuits blanches sur les jeux de tir vidéo s'avéraient payantes. Il fit un quart de tour et tira instinctivement sur son deuxième antagoniste. Celui-ci eut un petit hoquet, et s'écroula à son tour. Graham eut le temps d'apercevoir une cavité orbitale explosée.
Visiblement, le troisième homme ne s'attendait pas à une telle réplique et il hésitait entre la fuite et l'attaque. Graham abrégea son dilemme en lui plaçant d'autorité deux balles dans la tête, avant de faire quelques pas et de vomir dans un coin. Trop c'est trop, et puis, simulation ou pas, il venait d'abattre trois hommes en moins d'une minute ! Il récupéra une serviette sur une table et s'essuya la bouche. Toujours attablée, Rosalyn fixait les trois corps tour à tour, complètement atterrée.
- ®Venez, il vaut mieux ne pas trop trainer par ici, ils ne sont peut-être pas seuls !¯
- ®Allons chez moi, c'est à deux blocs d'ici, et l'immeuble est gardé. Nous ne risquerons plus rien !¯
Après une courte marche, non sans regarder dans tous les coins, anxieusement, ils arrivèrent devant un immeuble cossu. La jeune femme sortit ses clefs et ils s'engouffrèrent dans le hall, tremblants mais soulagés. L'appartement de Rosalyn était spacieux et très clair. Ils s'assirent côte à côte dans un grand canapé de cuir blanc.
- ®Mr Lee, vous êtes le meilleur PNJ que j'ai jamais vu ici !¯
- ®Mais je ne suis PAS un PNJ ? Je croyais que vous étiez une des figurantes de l'histoire. Une superbe figurante, de plus...¯
Leur lèvres se rapprochèrent, et ils s'embrassèrent avec passion. Il défit doucement les boutons du chemisier de Rosalyn pendant qu'elle lui retirait sa veste. Il eut un petit sursaut lorsque son bras effleura sa tête, réveillant un peu la douleur de son crâne. Elle se fit pardonner en l'embrassant de plus belle et il eut tôt fait d'oublier ses problèmes. Ils furent bientôt nus tous les deux, et Rosalyn l'attira dans la chambre, couvrant son corps de mille petits baisers. Elle se donna à lui avec une force et un enthousiasme qui les laissa pantelants, vidés, mais heureux.
La déconnexion automatique lui retourna un effet Larsen de première catégorie, strident, qui grimpait allègrement dans les aigus jusqu'à lui vriller les tympans, et ses yeux avaient le plus grand mal à reconnatre sa chambre. Il éteignit sa console et se coucha directement, les yeux pleins de rêves.
Graham retrouva Rosalyn plusieurs fois dans ce niveau. Le scénario s'arrêtait le soir venu, et la déconnection avait lieu. Dès qu'il se reconnectait, quels que soient le jour et l'heure, la simulation partait du lendemain matin. Graham eut à se défendre plus d'une fois. Contre quelques truands, mais surtout pour conserver son empire financier. Le programme était plus que réaliste, et il avait maintenant de bonnes notions des magouilles politico-financières de cette fin de millénaire. Chaque fois que Rosalyn était là, ça se terminait inévitablement au lit. La qualité de la simulation était fantastique. Graham s'aperçut, plutôt par hasard, qu'il était amoureux de Rosalyn...
Lors de sa dixième connexion, le scénario avait prévu que lui et Rosalyn seraient installés dans un grand restaurant, dans les hauteurs d'un quelconque building de Chicago. Ils étaient là pour rencontrer le maire, qui venait de lancer un appel d'offre concernant le nettoyage de la ville. Graham, ou du moins son rôle de financier douteux, venait arracher le marché, pot-de-vin à l'appui. Les documents fournis par l'ordinateur de SensoRezo faisaient mention d'un "concurrent acharné". Décidément, cette bote faisait les choses en grand. D'ailleurs, les feuilles de papier semblaient très réelles. Une d'elles portait même des taches de cafés fort bien imitées. Un tel graphisme, çà devenait du grand art !
Graham se noyait allègrement dans les yeux toujours verts de Rosalyn, tout en lui caressant la main avec passion, quand une des vitres panoramiques du restaurant vola en éclat. Il eut juste le temps de plonger sous la table, qu'une rafale d'arme automatique décima la bouteille de vin et la carafe d'eau posées dessus. Il n'eut même pas le temps de sortir son P38 que le tireur était dans la salle, arrosant méthodiquement le coin où il était caché. Il plongea à l'abri d'une autre table, et riposta au jugé. Un cri suivit d'un bruit de chute lui appris qu'il avait fait mouche. Il se releva et chercha Rosalyn du regard.
Elle était allongée sur une banquette, à plat ventre. Elle avait eu au moins le temps de se planquer. Mais un doute se fraya bien vite un passage jusqu'à son esprit : quelqu'un qui se cache ne laisse pas pendre ses bras le long de la banquette, et puis, cette trainée rouge... NON ! il se précipita vers Rosalyn, oubliant toute prudence. Il la retourna doucement. Ses yeux, ses si beaux yeux verts étaient recouvert d'un voile. Elle semblait être en train de sonder un espace infini du regard. Sur son sein gauche, deux traces déjà brunies ne laissaient aucun doute.
Graham dû faire un effort pour se rappeler que ce n'était qu'une simulation, une Réalité Virtuelle bien réalisée, mais rien de réel. Rosalyn, ou quel que soit son vrai prénom, venait juste de se faire vriller les tympans par le larsen de la déconnexion. Mais quand même, un tel réalisme, une telle précision, ça devrait être interdit : trop dangereux pour un coeur amoureux...
Il fallu à Graham plusieurs jours pour oser se rebrancher sur SensoRezo. Il n'osait pas retourner dans cet univers et avoir la confirmation que Rosalyn ne faisait plus partie du scénario. D'un autre côté, peut-être qu'elle était revenue avec un autre rôle. Incapable de résister, il se connecta.
Dès qu'il valida son entrée dans l'Univers de la finance, il se rendit compte que quelque chose avait changé. Au lieu de se retrouver dans la cinquième avenue, ou dans le loft qu'il avait brièvement partagé avec Rosalyn, il était allongé, affalé serait plus juste, sur un trottoir crasseux. La devanture d'une boutique miteuse affichait "Bronx's best food". Apparemment, rien n'avait échappé à la logique du programme, ou bien son personnage avait été changé. Passant devant la vitrine d'un coiffeur, il se regarda dans le minuscule miroir fêlé et piqueté de rouille qui surmontait les horaires d'ouverture. Au moins, son aspect physique était le même, ainsi que ses vêtements. Il pensa à regarder dans son portefeuille, et trouva une carte d'identité et un permis de conduire à son nom, ainsi que quelques dollars.
Sur ses papiers, une adresse à Manhattan figurait dans la case "domicile". Il héla un taxi, et s'y rendit directement. Il rentra dans le hall d'un magnifique immeuble, et vérifia que son nom était bien sur la liste des occupants. Rassuré, il se dirigea vers les ascenseurs. Le liftier lui adressa un regard à la fois surpris et franchement hostile, mais il n'y fit pas attention. Il entra dans sa suite, et regarda si un message ou un petit mot avait été laissé par Rosalyn, ou son nouveau personnage. Il pris soin de vérifier le répondeur, le courrier, le moindre endroit où aurait pu être laissé un message, mais ne trouva rien. Il alla jusqu'à vérifier si, sur le miroir de la salle de bain, elle n'aurait pas laissé un indice, au rouge à lèvre. Rien ! Il se déconnecta, désespéré.
Revenu dans sa chambre, il se passa la main devant les yeux et se leva en direction de la salle de bain. Il avala un calmant à l'aide d'un verre d'eau, et alla s'asseoir sur le rebord de la baignoire. Il brancha son ordinateur sur l'InterNet, puis de là contacta la base de données de SensoRezo. Il vérifia tous les pseudos, éplucha toutes les "boites aux lettres", mais ne trouva aucun indice. Il alla jusqu'à pirater la liste privée des connectés, mais renonça en apprenant que pas moins de 256 975 Rosalyn étaient répertoriées. Il passa de nombreuses heures dans les Univers de SensoRezo, des plus banals aux plus pervers, dans tous les styles : historique, futuriste, sportif, et beaucoup d'autres encore, mais toujours rien. A bout de forces et de moyens, il se résolut à abandonner, une grande mélancolie et une profonde tristesse au coeur.
Plusieurs mois plus tard, la sonnerie de son appartement retentit, alors qu'il finissait de travailler sur des images de synthèse. Il alla ouvrir et resta stupéfait : Rosalyn était sur le pas de la porte. Pas aussi physiquement parfaite que son image virtuelle, mais néanmoins très belle. Et ses yeux verts étaient exactement les mêmes que dans son souvenir. Elle lui sourit, puis lui tendit un paquet gigotant enveloppé dans une couverture :
- ®Bonjour Graham, voilà notre fils !¯
Jean-Paul MARUEJOULS
Montpellier, janvier 1995
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